L’Imlifidase

Les patients hyperimmunisés, en particulier ceux avec un Taux de Greffons Incompatibles (TGI) supérieur à 98%, ont de grandes difficultés à accéder à une transplantation rénale. En l’absence de donneur vivant HLA-compatible (apparenté ou via le programme de don croisé), une transplantation 'HLA incompatible’ précédée d’une désimmunisation par aphérèse peut être considérée.

Cependant, les options de transplantation à partir de donneurs vivants sont souvent limitées pour ces patients hyperimmunisés. Leur meilleure chance de trouver un donneur décédé compatible passe alors par leur inscription dans le programme prioritaire national. Les équipes de transplantation peuvent aussi envisager de les transplanter avec des anticorps anti-HLA disparus (dit historiques), ou bien avec des anticorps HLA de faible titre, l'objectif étant de réaliser des transplantations avec un crossmatch (XM) négatif pour minimiser le risque de rejet précoce.

Cependant, ces stratégies sont rarement applicables aux candidats hyperimmunisés ayant des anticorps HLA persistants à un titre élevé, ce qui constitue un défi majeur. Pour ces patients, différentes approches de désensibilisation prétransplantation ont été explorées sans résultat probant, ce qui conduit les patients à attendre sur liste pendant de longues années. 

C’est dans ce contexte que l'Imlifidase a émergé comme une nouvelle option thérapeutique. Il s'agit d'une protéase capable de cliver tous les anticorps de type IgG humains en 4 à 6 heures. L'Imlifidase permet ainsi de neutraliser les anticorps anti-HLA des patients hyperimmunisés et de convertir rapidement un crossmatch positif en négatif. Les anticorps peuvent réapparaitre chez ces patients en moyenne à 10 jours post-greffe avec un risque de rejet précoce autour de 40%. Malgré cela, la survie du greffon à 3 ans est autour de 85%. Sur la base de ces résultats, l’Imlifidase a récemment obtenu une autorisation d'accès précoce pour les candidats à une greffe de rein adultes hyperimmunisés et présentant un crossmatch positif contre un donneur décédé. Cependant, malgré cette avancée répondant à un besoin médical majeur, il est important de noter que l'autorisation de l'Imlifidase repose sur des données provenant de 2 études regroupant seulement 46 patients. Par conséquent, des données supplémentaires provenant de la pratique clinique sont nécessaires pour consolider les connaissances.

Afin d’éviter un mésusage de ce traitement, des recommandations Françaises ont été élaborées par un groupe d'experts. Leurs buts étaient d'homogénéiser la sélection des patients, les traitements associés ainsi que le suivi. Cette initiative s'inscrit dans un effort international visant à analyser correctement les avantages et la tolérance de ce nouveau traitement dans la vie réelle. Les patients éligibles à ce traitement en France doivent répondre aux critères suivants : TGI du jour ≥ 98 %, âge ≤ 65 ans, ≥ 3 ans sur la liste d'attente et un faible risque de complications liées à la biopsie. La décision finale d'utiliser l'Imlifidase sera basée sur deux critères. Tout d'abord, les résultats d'un crossmatch virtuel sur un sérum récent, qui doit montrer la présence d’au moins un anticorps anti-HLA dirigé contre le donneur avec une MFI > 6000, mais dont la valeur ne doit pas dépasser 5000 après une dilution au 1/10. Deuxièmement, le crossmatch post-Imlifidase doit être négatif. Les patients traités par l'Imlifidase doivent recevoir un schéma immunosuppresseur basé sur les stéroïdes, des thymoglobulines, de fortes doses d'Immunoglobuline polyvalentes, du rituximab, du tacrolimus et de l'acide mycophénolique. Des dosages fréquents d’anticorps anti-HLA en post-transplantation et des biopsies rénales de surveillance systématiques sont fortement recommandés pour surveiller le rebond post-transplantation des anticorps et la survenue d’un éventuel rejet infraclinique.

A ce jour et grâce à ces recommandations, une soixantaine de patients français ont été autorisés à recevoir une transplantation rénale avec de l’Imlifidase. Parmi eux, 12 ont été transplantés. Des premiers résultats intéressants sur les 9 premières transplantations rénales Françaises ont été présentés à la Société Francophone de Transplantation à Brest en décembre 2023. Il s’agit d’une avancée significative pour les patients hyperimmunisés. Néanmoins, ce nouveau traitement ne permet pas encore de les faire tous accéder à une transplantation avec un risque acceptable de rejet.  

Lionel Couzi
Chef du service Néphrologie Transplantation Dialyse Aphérèses
Hôpital Pellegrin, CHU Bordeaux
(Janvier 2024)

N°62 , Imlifidase