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Comment le soignant gère-t-il les effets secondaires des traitements immunosuppresseurs ?

Par le Dr Catherine Amrein, ancien médecin des hôpitaux, 
Transplantation Cardiaque et Pulmonaire - Hôpital Européen Georges Pompidou - Paris

Le but de la transplantation d’organe est de permettre aux patients de mener une vie normale, au prix de « quelques » contraintes. Elles se résument principalement à l’observance thérapeutique, l’hygiène de vie,  et non la moindre : le suivi médical.

Pour les équipes soignantes la survie du patient/greffon prime. D’où ces contraintes. Qui peuvent retentir sur la qualité de vie. Celle-ci dépend de plusieurs variables : la nature de la greffe et son « environnement » médical, le soutien social et familial, les variables psychologiques personnelles, et les évènements stressants pouvant survenir ainsi que la façon de les appréhender.  

Ainsi la greffe rénale améliore la qualité de vie par la suppression des contraintes de la dialyse. 

Pour le cœur, le foie ou les poumons, la transplantation est d’abord une question de survie ! Encore que le développement des assistances cardiaques mécaniques de longue durée (« destination therapy ») permette à de plus en plus de patients de survivre, avec des contraintes bien différentes de celles liées à une greffe. 

Un autre élément à prendre en considération dans l’acceptation des contraintes est le mode d’entrée dans la maladie. Le malade « chronique » (cirrhose, cardiomyopathie, mucoviscidose, …) était déjà en quelque sorte asservi à sa maladie, ses traitements … C’est bien différent pour celui ou celle qui va par exemple faire brutalement un infarctus myocardique étendu ou une hépatite fulminante et qui va voir sa vie complètement bouleversée du jour au lendemain !

Toutes ces différences expliquent une résilience plus ou moins marquée vis-à-vis des effets secondaires.

Effets secondaires liés aux immunosuppresseurs 
  1. Les médicaments immunosuppresseurs utilisés au long cours(en dehors de « l’induction » péri-opératoire) ont de nombreux effets secondaires (tableau 1). Et des médicaments supplémentaires (qui ont eux-mêmes leurs propres effets secondaires …) peuvent être nécessaires pour neutraliser ces effets indésirables. L’ordonnance est parfois bien longue, surtout la 1ère année … Sans compter la prévention anti-infectieuse (CMV, Pneumocystis Carinii, …).

Nom pharmacologique

Nom commercial

Effets secondaires

Ciclosporine

Neoral

Toxicité rénale, HTA, convulsions, tremblements, dyslipidémie, goutte, hypertrichose, hypertrophie gingivale

Tacrolimus

Prograf, Advagraf, Envarsus, Modigraf, Adoport, Conferoport

Toxicité rénale, HTA, diabète, alopécie

Prednisone

Prednisolone

Cortancyl

Solupred

HTA, œdèmes, troubles de l’humeur, dyslipidémie, diabète, retard de croissance, ostéoporose, fonte musculaire, vergetures, cataracte, glaucome

Everolimus

Certican

Retard cicatrisation, aphtes, arthralgies, thrombopénie, anémie, hypertriglycéridémie

Sirolimus

Rapamune

Acide Mycophénolique

Cellcept

Myfortic

Leucopénie, troubles digestifs (diarrhées)

Tableau 1 : principaux immunosuppresseurs et leurs principaux effets secondaires

Belatacept

Nulojix

+ d’infections, + de rejets aigus

Contre-indiqué chez patients EBV -

  1. Les médecins sont parfaitement conscients de la nuisanceque tout cela représente, et donc du retentissement sur la qualité de vie ! Sans compter le risque de mauvaise observance thérapeutique ! Il est donc capital que les patients en discutent avec leurs médecins transplanteurs. Car des modifications de stratégie, des alternatives sont possibles, isolées ou associées, certaines appliquées tôt après la greffe (antécédents du patient) ou bien secondairement (survenue d’effets indésirables) :
  • Un protocole immunosuppresseur le moins délétère possible, le minimum d’immunosuppression pour le minimum de rejets:
  • Le « niveau » d’immunosuppression (poumon > cœur > rein > foie) diminue avec le temps, dans des délais variables selon l’organe greffé, le nombre de rejets … 
  • Baisse des doses de Ciclosporine ou de Tacrolimus ; Passage d’une « trithérapie » à une « bithérapie » en supprimant une classe thérapeutique. Il s’agit d’ailleurs le plus souvent d’un arrêt progressif des corticoïdes, qui d’une part est souhaitable chez les enfants et d’autre part correspond au souhait le plus fréquemment émis par les patients. 
  • Malheureusement un renforcement de l’immunosuppression peut être nécessaire (trop fréquents rejets aigus, rejets humoraux, …), soit en augmentant les doses soit en rajoutant de nouveaux médicaments. D’où une augmentation des effets secondaires et un retentissement sur la qualité de vie …
  • Une immunosuppression adaptée au profil du patient, chaque fois que possible, que ce soit anticipé (terrain), ou non (effet secondaire) :
  • Ainsi la Ciclosporine sera préférée au Tacrolimus chez un patient prédiabétique ; l’existence d’une ostéoporose fera baisser, voire arrêter, dès que possible la corticothérapie ; une dyslipidémie sévère incitera à préférer le Tacrolimus plutôt que la Ciclosporine et à donner le moins de corticoïdes possible
  • Une insuffisance rénale inquiétante en pré-greffe (en dehors de la transplantation rénale bien sûr) ou en post-greffe pourra faire proposer un traitement sans inhibiteurs de la Calcineurine (Tacrolimus, Ciclosporine) mais faisant appel aux inhibiteurs des m-Tor (Everolimus, Sirolimus) et/ou au Belatacept.
  • Ou encore, devant une hypertrichose (augmentation des poils sur le corps et le visage (le retentissement sur la qualité de vie est immédiatement évident chez les femmes !) liée à la Ciclosporine, un « switch » au Tacrolimus est proposé 
  • Une adaptation du nombre de prises médicamenteuses :
  • Pour des raisons de pharmacocinétique/biodisponibilité certains immunosuppresseurs ont des contraintes d’horaires de prise (toutes les 12 heures) et de conditions de prise (à jeun ou au cours du repas – l’un ou l’autre : il faut choisir et une bonne fois pour toutes !). Ces contraintes peuvent non seulement être « anti-conviviales », mais aussi être un obstacle à l’observance thérapeutique. 
  • Il existe certes des médicaments dont la pharmacocinétique ne nécessite qu’une prise journalière (Everolimus, Sirolimus, corticoïdes). Pour d’autres, certains laboratoires pharmaceutiques ont développé des produits à libération prolongée (LP) comme le Tacrolimus LP (Advagraf, Envarsus)

  1. Plusieurs effets secondaires peuvent être fort bien limités par le patient lui-même !
  • Les règles diététiques(qui devraient d’ailleurs être adoptées par toute la population générale…) aident à limiter la prise de poids, à optimiser une glycémie limite ou un bilan lipidique perturbé.
  • L’activité physique et sportivepermet de diminuer les effets néfastes ostéo-musculaires des corticoïdes, d’améliorer la pression artérielle (diastolique), de mieux maîtriser la glycémie… Elle apporte de plus un bénéfice bien démontré sur la santé psychologique (amélioration de l’estime de soi, baisse de l’anxiété …). Même si une kinésithérapie est prescrite lors de l’hospitalisation voire à domicile, ainsi que parfois un séjour en centre médical de réadaptation physique, cette activité physique et sportive après le retour à domicile (adaptée bien sûr à l’état physique du greffé) n’est malheureusement pas assez souvent prescrite par les médecins !
  • Par l’éducation thérapeutique du patient (ETP)dispensée par l’équipe de transplantation, le greffé apprend à connaitre ses médicaments et leurs effets secondaires, et la nécessité de l’observance thérapeutique. 
  • Cet ETP doit aussi lui faire connaitre les médicaments formellement contre-indiqués (Rifampicine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, Millepertuis…) car sources d’effets TRES indésirables, ou responsables d’interférences médicamenteuses dangereuses (tableau 2). Le médecin non transplanteur, généraliste ou spécialiste, ne peut pas tout connaitre ! Et le Vidal est trop souvent incomplet sur le chapitre des interférences médicamenteuses. Il importe de ne pas prendre de nouveaux médicaments sans l’accord du médecin transplanteur. 
  • Certaines interférences médicamenteuses sont cependant gérables au prix d’un suivi pharmacologique rapproché, de modifications de posologie des immunosuppresseurs et/ou d’autres médicaments et à condition que le traitement incriminé soit initié par le médecin transplanteur. 

Baisse du taux d’immuno-suppression (IS)

 risque rejet

Augmentation du taux d’IS

  risque toxicité

Toxicité du médicament

 accrue par l’IS

Rifampicine per os ou IV (Rifadine®,Rifate®, Rifinah®) : formellement contre-indiquée

Voriconazole (V-Fend®),

Itraconazole (Sporanox®)

Digoxine 

Rifabutine (Ansatipine®)

Certains inhibiteurs calciques per os : Diltiazem (Tildiem®), Nicardipine (Loxen®), Vérapamil (Isoptine®)

Statines : risque de rhabdomyolyse (Zoocor® et Crestor® en particulier)

Ticlopidine (Ticlid®)

Josamycine (Josacine®), 

Erythromycine (Erythtrocine®), Roxythromycine (Rulid®), Clarythromycine (Zeclar®)

Colchicine

Phénobarbital (Gardenal®) et autres barbituriques oraux

Pristinamycine (Pyostacine®)

 

Carbamazepine (Tegretol®)

   

Tableau 2 : liste (non limitative) des interférences médicamenteuses avec les immunosuppresseurs (IS),

      elles ne concernent que Ciclosporine, Tacrolimus, Everolimus et Sirolimus

Millepertuis, Pamplemousse
   
  1. Cependant il reste des effets secondaires incontournables, contre lesquels le corps médical ne peut pas grand-chose ! 
  • Le choix de tel ou tel traitement va peut-être permettre de diminuer tels ou tels effets secondaires préjudiciables, mais … va en créer d’autres ! Comme par exemple la possible alopécie (chute des cheveux) du Tacrolimus versus l’hypertrichose de la Ciclosporine, les soucis de capital veineux et le Nulojix® (Belatacept) mensuel…
  • Et n’oublions pas que l’immunosuppression, de par sa définition, augmente le risque de cancers et d’infections, les deux retentissant gravement sur la qualité de vie.
  • Si plus de 70% des transplantés vivants à 10 ans de greffe sont indemnes de tout cancer, celui-ci est plus fréquent que dans la population générale, en particulier le lymphome non hodgkinien (rôle de l’EBV), le cancer cutané et le cancer du col de l’utérus (rôle du papillomavirus HPV)
  • Sur le plan des infections, la symptomatologie est parfois trompeuse (rôle des corticoïdes), d’où des recherches diagnostiques parfois « agressives », des ré-hospitalisations plus ou moins prolongées …
  • Le suivi médicalpeut être considéré comme un effet secondaire : consultations (grande patience indispensable en salle d’attente …) et/ou hôpitaux de jour plus ou moins fréquents, gestes invasifs (biopsies, fibroscopies …), examens radiologiques, prises de sang multiples … Celui-ci est malheureusement incontournable, même si le rythme en diminue avec le temps ou si certaines consultations peuvent être déléguées. Mais surtout le suivi médical n’est pas négociable !
Conclusion

Le retentissement de ces effets secondaires, l’acceptation des contraintes liées à la greffe sont intimement corrélés au « profil » psychologique du patient et à sa faculté à faire face aux évènements stressants jalonnant la vie d’un transplanté d’organe. La qualité de la vie peut s’en trouver affectée, avec la survenue d’épisodes anxieux et/ou dépressifs (autre effet secondaire !).

Le soutien social est alors un élément important dans la gestion de ces troubles : il a été montré que plus il y avait de soutien familial, moins il y avait de détresse psychologique.

Le dialogue est donc capital à tous les niveaux, afin de (tenter de) trouver des solutions aux difficultés rencontrées. 

Ce dès avant la transplantation, que ce soit avec les médecins transplanteurs (qui ont le devoir d’informer) ou avec des associations de transplantés (qui, étant déjà passés par le processus de greffe, seraient plus aptes à préparer, soutenir le futur transplanté). Ce « dialogue » doit concerner non seulement le patient mais également son entourage (qui a lui aussi besoin d’être informé, préparé !)

En post-greffe, à côté des associations de transplantés qui trouvent là encore leur utilité, l’équipe soignante est à l’écoute (au sens propre du terme) du patient ! Cela fait partie du suivi médical. 

Le patient peut (doit) aborder avec l’équipe soignante tous les problèmes qu’il rencontre, quelle qu’en soit la nature (rien n’est « tabou ») ! Il ne doit pas les « subir » ! 

Car un soutien psychologique peut être nécessaire, les services d’une assistante sociale peuvent être requis, des alternatives thérapeutiques existent le plus souvent. Les différents effets secondaires, tant sur le plan organique que psychologique, impactent non seulement la qualité de vie mais aussi sans doute le pronostic de la transplantation. 

N°60, effets secondaires, traitements immunosuppresseurs