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Le parcours post greffe

La greffe, on en parle souvent comme d’une nouvelle jeunesse, d’une libération, d’une seconde chance. S’il est vrai qu’elle apporte un nouveau souffle et permet de recommencer à envisager un avenir serein, l’après greffe se prépare et s’anticipe. 
Suivez le guide. 

Un suivi médical rapproché

La pérennité de la greffe dépend pour beaucoup de l’attention et de la vigilance portées au suivi. Une consultation préalable permet de délivrer toutes les informations nécessaires. « On ne sait jamais quand aura lieu la greffe », indique le Dr Renaud Snanoudj, néphrologue à l’Hôpital Bicêtre. « Si c’est une greffe avec donneur vivant, la greffe est proche de la consultation. S’il s’agit d’un donneur décédé, il faut compter en moyenne au moins deux ans après la consultation d’information. Et j’insiste toujours beaucoup sur le suivi médical en disant qu’il va être rapproché au début, notamment durant les trois premiers mois ». Les patients savent en effet qu’ils auront chaque semaine une consultation médicale, des prises de sang et des examens à réaliser, des traitements relativement lourds. « J’essaie de leur dresser un tableau le plus précis possible de ce que sera leur suivi après la greffe ». 

Au bout de trois mois, le patient est convié en hôpital de jour pour un bilan complet. Certaines équipes réalisent des biopsies du greffon. Si tout va bien, le suivi commence à s’étendre. « Il peut y avoir quelques variations entre les centres mais le modèle reste assez similaire ».

Ce suivi est généralement très bien accepté. « Il est même rassurant pour les patients », ajoute le Dr Snanoudj. « Lorsqu’on a été dialysé plusieurs années au moins trois fois par semaine, il est parfois difficile de se retrouver seul chez soi durant toute une semaine. Les patients sont prévenus qu’ils ne vont pas reprendre leur activité professionnelle pendant les trois premiers mois. Ils savent que ce temps est consacré au suivi médical, à vérifier que tout se passe bien ».

L’éducation et l’observance thérapeutiques

Ces trois premiers mois permettent d’éduquer le patient, de lui délivrer des informations sur son greffon, les marqueurs biologiques examinés, le traitement à suivre. Le but est de lui permettre de bien identifier les différents médicaments, à savoir les anti-rejet, antibiotiques, médicaments contre la tension… 

« Certains patients intègrent parfaitement la prise de médicaments dans leur quotidien » ajoute le Dr Snanoudj. « Pour d’autres c’est plus difficile, soit parce que le traitement est mal toléré, a des effets indésirables, soit parce que ça leur est pesant d’avaler des dizaines de comprimés plusieurs fois par jour. Ce phénomène, bien que fréquent et connu, est difficile à régler. Mais l’éducation thérapeutique a montré son efficacité auprès des patients. Il faut qu’ils comprennent l’intérêt du traitement, le rôle des différents médicaments, dont l’anti-rejet qui s’il est oublié un jour pourrait déclencher un phénomène de rejet chronique qu’on n’arrivera plus à contrôler. Les patients doivent à la fois se sentir soutenus et comprendre la nécessité de prendre les traitements ; il faut du dialogue et de la compréhension. Mais cela reste une difficulté en transplantation, bien que les « hot line à l’hôpital », les applications de télésurveillance installées sur les téléphones des patients se sont beaucoup développées ces dernières années. Ce sont des canaux de communication privilégiés ; les patients peuvent envoyer des questions, « tchatter » avec les équipes de transplantation… Ces outils de suivi sont aussi très utiles pour repérer les « décrochages » potentiels quant au suivi des thérapies prescrites. Les dosages réguliers de traitement antirejet sont autant d’indicateurs d’une observance irrégulière ». « Le fait que les patients ne se présentent pas aux consultations sans prévenir est un élément tangible d’alerte. »

Une prise en charge multidisciplinaire

Tous les centres ne sont pas dotés d’une prise en charge totalement identique. « Par exemple à l’hôpital Bicêtre, les patients peuvent consulter une psychologue de manière ponctuelle, qui les orientera vers des professionnels de ville. Une diététicienne délivre des conseils nutritionnels, notamment durant la période d’hospitalisation lors de la transplantation : Elle informe le patient sur le nouveau régime à adopter. Cela peut passer aussi par des ateliers d’éducation thérapeutique. Enfin, nous les invitons à pratiquer une activité physique adaptée régulièrement ».

Une alimentation modifiée

Avant une greffe rénale, durant la dialyse, les patients suivent un régime strict et assez contraignant : limitation des apports hydriques, des aliments riches en potassium, en sel, en phosphore… Après la greffe, le régime est moins sévère. Il faut surtout être vigilant sur le sucre à cause du risque de diabète. Pour le reste, le patient doit bien boire et manger salé pour être suffisamment hydraté. Il faut également veiller au risque infectieux lié à l’alimentation. Cela signifie qu’il faut s’astreindre à consommer des aliments bien lavés et bien cuits. Les régimes sont donc très différents, avant et après la greffe, et nécessitent des explications régulières.

Une activité physique adaptée et régulière

L’activité physique adaptée fait partie de la nouvelle vie du greffé. Comme l’expliquait le Dr Yves Hervouet des Forges, médecin du sport-santé, dans un récent dossier de Relais Online consacré à la qualité de vie, « Les bénéfices de l’activité physique interviennent à tous les niveaux ». « Pour les insuffisants cardiaques, par exemple, elle est une thérapeutique incontournable, avant même la transplantation. Après l’intervention cardiaque, la régulation nerveuse est compliquée. Les médicaments anti-rejets diminuent le métabolisme des muscles. La pratique d’une activité physique est alors indispensable. C’est l’un des piliers du traitement ». Pourtant si les patients sont accompagnés dans les premières semaines, le suivi d’une pratique physique lors du retour à domicile est loin d’être systématique. « L’activité physique ne bénéficie pas encore d’une prise en charge post-rééducation. »

Mais les patients sont nombreux à témoigner d’un équilibre retrouvé grâce à la pratique d’une activité physique. Sandrine Lagrée, par exemple, qui tombée malade après des années de compétition, s’est remise à jouer au tennis un an après la greffe. Ou Ludivine Fournier, qui découvre grâce à la Course du cœur, l’un des événements phares de Trans-Forme, qu’il était possible de mener une activité physique et sportive « quand on était transplanté ». Une pratique qui permet de se réapproprier son corps, tisser des liens sociaux, se fixer de nouveaux objectifs, lutter contre les comorbidités et maintenir un greffon en forme.

Une vie à reconquérir

Si la greffe est bien sûr l’ouverture d’un nouveau possible, elle impose aussi des contraintes nouvelles pour l’individu. Après le travail d’acceptation d’un organe étranger, après la transplantation et la fragilité qui entourent cette étape, le patient doit s’installer dans une nouvelle vie. Tout le monde se réjouit de la seconde chance qui lui est offerte et le considère comme guéri. « En réalité, ce n’est pas le cas et ça ne le sera jamais, puisque le greffé doit prendre des traitements à vie », explique Véronique Monier, psychologue au sein du service de transplantation rénale pour enfants et adolescents de l’Hôpital Robert Debré à Paris. Toutefois, il s’agit quand même d’un changement de vie qui se prépare bien en amont de la greffe. « Quand les jeunes sont en dialyse, l’assimilation de la chronicité de la maladie est plus simple. En revanche, elle se complexifie pour les jeunes qui bénéficient d’une greffe préemptive. Leur préparation préalable reste un peu théorique. » La redécouverte et l’appropriation de son corps sont des moments aussi délicats qu’importants. Pour les jeunes dont elle s’occupe, l’étape de la reprise du sport est importante. « Certains n’hésiteront pas à exhiber leurs cicatrices, d’autres les masqueront sous de longs tee-shirts. Mais quelle que soit la posture adoptée, ce n’est jamais neutre. Et tous devront se confronter aux regards des autres sur leur corps comme sur leurs performances sportives ». Car il est nécessaire, rappelons-le, de reprendre une activité physique régulière pour la bonne santé de l’individu comme de son greffon. 

« Il y a aussi en parallèle la problématique de l’adolescent malade qui grandit, qui veut s’affranchir de ses parents », ajoute Véronique Monier. « Il est libéré des séances de dialyse mais pas des traitements. Il faut aider les parents à faire confiance au jeune, les rassurer sur sa capacité à se prendre en charge. Une démarche parfois difficile quand le jeune est malade depuis longtemps et que les parents l’ont accompagné et porté de nombreuses années ». Et si les conduites à risque existent à l’adolescence, c’est surtout l’arrêt des traitements qui inquiète les professionnels. « On reste très disponibles et à l’écoute des parents comme des jeunes. Plus l’adolescent avance vers l’âge adulte, plus on favorise le travail de groupe, afin de lutter contre la solitude qu’il peut ressentir face à la maladie. Pour la prévenir, nous misons beaucoup sur sa participation à des groupes de paroles et/ou des ateliers d’éducation thérapeutique. Enfin nous travaillons avec les équipes soignantes pour adapter les prises en charge aux spécificités et à l’histoire de chaque patient », la clef d’une greffe et d’un suivi réussis.

La vie sociale, un enjeu d’intégration

Là encore, les ateliers d’éducation thérapeutique jouent un rôle déterminant. « On distingue de réelles différences d’appréhension de la transplantation, pour ceux qui ont bénéficié d’un accompagnement préalable », confirme Marie-Camille Décès, assistante sociale à l’hôpital de Rangueil, CHU de Toulouse. Acceptation du greffon, diététique, traitements ou reprise d’une activité professionnelle, toutes ces questions sont abordées lors des échanges en groupe. Mais pour Marie-Camille Décès, qui intervient avant et durant l’hospitalisation, « tout se joue au cas par cas. Le ressenti post greffe dépend de la maladie, de l’expérience médicale du patient, de son isolement social voire de son âge. On ne travaille pas avec un jeune adulte ou un enfant comme avec une personne âgée, une personne rassurée par un accompagnement médical et social lors des dialyses, ou un actif confronté soudainement à une greffe hépatique ou cardiaque… Chaque problématique est spécifique ». Toutefois la professionnelle souligne une réalité récurrente que sont les difficultés administratives et l’accès aux droits, dont les réponses peuvent varier d’un département à l’autre. Là encore l’accompagnement est précieux. Indemnités journalières, sorties d’hospitalisations, retour à domicile, temps partiel thérapeutique, déclaration de handicap… C’est parfois un dédale administratif dans lequel il est précieux d’être guidé et épaulé. « Une vie qui bascule soudainement du fait de la transplantation est toujours un moment anxiogène, ajoute Marie-Camille Décès. Mais les professionnels restent très présents pour accompagner ces étapes et favoriser une amélioration de la qualité de vie des patients. »


Y a- t-il un suivi dermatologique particulier à mettre en œuvre après la greffe ? 

En raison des traitements immunosuppresseurs utilisés pour éviter les rejets, les patients greffés d’organe réparent moins bien les mutations induites par les UV sur les cellules cutanées et ces mutations favorisent l’apparition de cancers. De plus, ces thérapies immunosuppressives favorisent aussi les co-infections virales (surtout HPV) dont certaines sont oncogènes. Un suivi dermatologique régulier est donc nécessaire après une greffe d’organe.

Le risque principal pour les patients greffés est donc de développer un cancer cutané. Et ce risque est très élevé quel que soit le type de greffe, puisque 50 à 70% des patients seront concernés.

Les cancers cutanés les plus fréquents chez les greffés sont les carcinomes épidermoïdes qui sont plus agressifs que dans la population générale avec un taux de métastases et de récidives locales de l’ordre de 8 à 12%. Ils sont souvent multiples et associés à des lésions précancéreuses comme les kératoses actiniques. Ils se manifestent par des lésions rosées hyperkératosiques (c’est à dire recouvertes de corne), souvent douloureuses au toucher et d’évolution parfois rapide, en quelques semaines. Ils siègent préférentiellement sur les zones photo-exposées (visage, mains, avant-bras, jambes).

On observe aussi une augmentation de l’incidence des autres cancers cutanés (carcinomes basocellulaires et mélanomes (risque relatif multiplié par 4,5 par rapport à la population générale) et plus rarement carcinomes de Merkel et lymphomes).

La maladie de Kaposi (prolifération de cellules d’origine vasculaire associée à une co-infection virale HHV8) est plus rare mais son incidence est accrue chez les greffés. Elle est surtout observée dans les populations du bassin méditerranéen, d’Afrique et d’Italie du Sud. Elle se manifeste par l’apparition de nodules violacés sur la peau associé ou non à un lymphœdème (œdème des jambes). 

Enfin, les personnes greffées sont sujettes à des complications cutanées infectieuses : infections à HPV (Human Papillomavirus) dont certains sont oncogènes : verrues, condylomes qui sont souvent difficile à traiter ; infections au virus herpès ; infections opportunistes tes que les bactéries, champignons, mycobactéries atypiques.

Comment la dermatologie prend-elle sa place dans l'accompagnement pluridisciplinaire ?

Le patient doit être sensibilisé au risque cutané par le médecin spécialisé qui le suit en phase post greffe (néphrologue, hépatologue, cardiologue...) et orienté vers un dermatologue. 

Les dermatologues libéraux sont généralement en première ligne en matière de dépistage des cancers et assurent la surveillance. En cas de cancer à risque de complications, les patients sont orientés en RCP et pris en charge par des équipes d’onco-dermatologie. 

Les dermatologues jouent aussi un rôle important pour rappeler l’importance de la photo protection : éviter si possible toute exposition solaire active et passive, privilégier la protection vestimentaire et l’utilisation systématique d’une crème solaire efficace sur les parties découvertes dès le matin. 

La pénurie actuelle de dermatologues libéraux est un problème majeur. Ils ont de plus en plus de difficultés à assumer la demande en matière de dépistage des cancers cutanés (dont l’incidence explose dans la population générale) et doivent privilégier le suivi des patients à haut risque dont font partie la plupart des personnes greffées d’organe.

C’est pourquoi l’éducation à l’auto surveillance est aussi très importante quand elle est réalisable. Elle consiste à demander au patient de réaliser un examen complet de sa peau tous les 3 mois à l’aide d’un miroir et éventuellement de photos (dos) et de consulter en cas de lésions suspectes : lésion crouteuse hyperkératosique surtout si douloureuse ou épaisse, lésion qui saigne ou ne cicatrise pas, tâche pigmentée, nodule violacé, etc.

Certaines personnes sont-elles plus à risque de développer des pathologies cutanées ?

Les facteurs de risque pour un patient greffé d’organe de développer un carcinome épidermoïde sont :

  • un phototype clair 
  • un âge avancé lors de la greffe
  • des expositions UV importantes dans le passé (coups de soleil, séjours prolongés ou voyages réguliers dans des pays ensoleillés, UV en cabine, puvathérapie, sports nautiques etc.)
  • la durée et le type d’immunosuppression : après un premier carcinome, le passage d’un anticalneurine (ciclosporine, azathioprine) à un inhibiteur de mTor (sirolimus, evérolimus) peut être discuté en équipe pluridisciplinaire
  • antécédents de kératoses actiniques ou de carcinomes épidermoïdes avant la greffe
  • co-infection HPV

Concernant le mélanome, les facteurs de risque sont un phototype clair, des antécédents d’expositions UV importantes surtout enfant, de nombreux naevus, des antécédents familiaux de mélanome, Kc pancreas ou Kc du rein.

Juliette Viatte

 Dossier réalisé avec le soutien institutionnel de Chiesi Logo 1.Primary

N°59, parcours post greffe