Du pédiatrique au service adulte : une délicate transition
Dossier réalisé avec le soutien institutionnel du laboratoire ASTELLAS PHARMA.
Mauvaise adhésion thérapeutique, perte de suivi aux conséquences dramatiques… Le passage d’un accompagnement pédiatrique à un service adultes nécessite une préparation adaptée, anticipée et beaucoup de psychologie. Explications.
Pendant l'enfance et l'adolescence, les soins et le suivi médical sont généralement assurés par une équipe pédiatrique stable, et la participation active des parents, dont le rôle est souvent crucial. Mais qu'en est-il à l'heure de franchir le cap de l'âge adulte ? Ce passage vers un nouveau service de soins représente un moment délicat. Le jeune, considéré comme autonome, doit apprendre à se prendre en charge, tant sur le plan des traitements que du suivi de ses rendez-vous ou examens, une transition parfois difficile à accepter à un âge sensible.
Depuis plus de vingt ans, les experts ont pourtant identifié les risques liés à cette étape charnière, qui ont mené au développement du concept de "transition". Loin d'être un simple transfert, ce processus s’élabore durant plusieurs années et a pour objectifs d'accompagner, de responsabiliser et de rendre les jeunes adultes autonomes dans la gestion de leur santé.
L’âge, déterminant majeur
Si le passage officiel s’effectue en théorie à 18 ans, la réalité est souvent bien plus souple. Pour un transfert réussi, il ne faut pas se fixer un âge de manière arbitraire. « Les jeunes peuvent intégrer des services adultes un peu plus tard », explique le Dr Marina Charbit, néphrologue pédiatre à l’hôpital Necker-Enfants Malades à Paris. L’âge de 17 à 24 ans est une période à haut risque (avec un pic à 18-19 ans) de perte de greffon par non-adhésion au traitement et au suivi. « Cette relation entre perte de greffon et âge est constante quels que soient le sexe, la maladie initiale, la réalisation d’une dialyse ou non avant la greffe, le type de donneur, le centre de greffe, le pays ou le milieu social du jeune. Rien d’autre que l’âge ne permet de relier ces patients. Réaliser la transition à cette période ne semble donc pas très propice. Le « bon âge » pour une transition réussie est celui où le ou la jeune est prêt(e). Et cela se prépare et s’anticipe longtemps à l’avance. »
Un temps privilégié
Pour ce faire, et bien avant la transition effective, des temps d’échanges sont proposés aux jeunes. A l’hôpital Necker par exemple, une journée est spécialement organisée avec des petits groupes d’une dizaine de jeunes. C’est l’occasion pour eux de rencontrer médecins, néphrologues pédiatres et néphrologues adultes, infirmières d’éducation thérapeutique, de pratiques avancées, enseignants, assistante sociale, psychologue, pédopsychiatre… Dans le cadre d’ateliers, ils vont apprendre à se présenter pour évaluer la connaissance qu’ils ont de la maladie, et pour leur apprendre à parler d’eux. « Sous une forme ludique, nous leur proposons de répondre à un quizz médical, de travailler ou de décrire leur projet professionnel, de réaliser un atelier de photolangage… », ajoute Marina Charbit. Et pendant ce temps, les parents sont invités à réaliser une visite du service adulte. « Cela les rassure de découvrir le lieu où seront pris en charge leurs enfants. C’est important ». Les jeunes et leurs familles sont ensuite revus en consultation. « La participation à cette journée n’implique pas de passer en secteur adulte immédiatement. La décision de transfert est toujours prise avec le jeune patient. Tout le monde doit être d’accord. Mais quand on prépare bien cette transition, les choses se font très simplement. L’important est de réaliser un monosuivi avec un néphrologue dédié, et personnalisé pour éviter que le jeune échappe au suivi. Il faut inscrire cette démarche dans une continuité. D’ailleurs, nous accompagnons toujours la première consultation ».
Une autonomie progressive
Les parents sont présents dans toute la phase préparatoire qui peut durer plusieurs mois voire plusieurs années, puis lors de la consultation de transition. Ensuite, « il est vrai que le relais doit être pris par le jeune lui-même », précise Marina Charbit. « Et c’est souvent ce dernier qui souhaitant prendre de l’indépendance, met ses parents à l’écart ».
En pédiatrie, il semble difficile de les mettre de côté. « Ils sont de vrais partenaires. Même lorsque le jeune est âgé de 18 ans, ils continuent parfois de gérer les médicaments. Or la première cause de perte de greffon en pédiatrie, c’est la mauvaise adhésion au traitement. On a donc vraiment besoin d’eux et de leur vigilance. »
Un point de vue partagé par Valérie, mère d’un jeune âgé de 16 ans et greffé depuis 7 ans. « Les médicaments relèvent de la responsabilité des parents. C’est à nous de veiller à les commander en temps et en heure, à prendre les rendez-vous de suivi… Le jeune n’a qu’une responsabilité : prendre ses médicaments au bon moment. Cet été d’ailleurs, pour la première fois, nous avons laissé notre fils partir seul en vacances. Bien sûr, tout était préparé. Il n’avait qu’un devoir, ne pas oublier ses traitements. C’était une étape importante. Mais tout s’est très bien passé. »
Si Chaké, la maman d’Alek, transplanté du foie, continue d’organiser les rendez-vous, elle note toutefois que le regard des médecins change sur son ado aujourd’hui âgé de 16 ans. « Les questions lui sont adressées directement, c’est un changement de posture. Il grandit. Je sais aussi que bientôt mon fils ne me parlera plus. C’est dans l’ordre des choses ».
Changer de monde
Pour le Dr Teresa Antonini, hépatologue à la Croix Rousse à Lyon, cette transition peut être vécue par le jeune comme « une double peine » : la perte du lien exclusif avec son médecin référent, et l’intégration dans un service adulte, avec des « vieux », et un temps de consultation réduit lié au nombre de patients à prendre en charge. « La préparation de cette transition, en pédiatrie, est donc essentielle, y compris du point de vue des parents qui portent des jeunes parfois un peu immatures du fait de retards voire d’échecs scolaires, liés à l’impact de la maladie dans leur vie. De notre côté (ndlr en service adulte), l’expérience montre que si on réserve un temps particulier pour prendre en charge ces patients à l’histoire hyper complexe, car plusieurs organes sont souvent touchés, et qu’on accepte de se former à ces maladies, on améliore considérablement la prise en charge. »
« Lorsque je travaillais à Paul Brousse, en lien avec Necker et Kremlin-Bicêtre, nous avons structuré l’accompagnement en proposant des consultations plus longues pour ces jeunes adultes mais aussi des allers-retours entre les services adultes et pédiatriques. Cela permet de créer du lien et « d’apprivoiser » les jeunes. » Désormais à Lyon, le Dr Antonini collabore davantage avec les services de pédiatrie, en réalisant des consultations conjointes. Cela permet de rencontrer les jeunes et les familles, « d’échanger sur les éléments à modifier ».
« C’est illusoire de penser que ces patients peuvent être gérés comme les autres. Il faut s’intéresser à leurs activités, leurs études, leur travail, leurs déménagements éventuels en organisant leur suivi médical… cela prend du temps mais c’est essentiel pour qu’ils se sentent « précieux, considérés, importants ».
Former les professionnels
Ces maladies relèvent souvent des maladies rares. « Pour informer et accompagner les professionnels de santé, nous avons créé au sein de FilFoie (filière santé maladie rare du foie de l’adulte et de l’enfant) un groupe de travail appelé « RéFiT », explique le Dr Antonini. RéFIT est un réseau, constitué d’hépatologues adultes et pédiatriques, paramédicaux et d’associations de patients qui vise à faciliter la transition là où les programmes d’accompagnement ne sont pas encore structurés. Il s’agit de créer des liens et des mises en relation pour diminuer l’errance médicale. La première a été la création d’un annuaire en ligne afin d’identifier un médecin référent, dans chaque centre de référence et centre de compétence de la filière, qui pourra prendre en charge des jeunes patients atteints d’une maladie hépatique rare ayant débuté en âge pédiatrique. »
Les quatre centres de greffe pédiatriques en France doivent pouvoir transférer de jeunes patients dans un centre proche de chez lui. L’annuaire est là pour faciliter ce chemin.
Former et comprendre les besoins
En 2025, le réseau Filfoie ambitionne de créer un diplôme interuniversitaire, destiné à former les médecins aux maladies rares et les aider à trouver la juste information. Mais aussi distribuer un questionnaire destiné aux patients porteur d’une maladie hépatique depuis l’enfance afin de mieux mesurer les enjeux d’un accompagnement de transition : qu’en attendent-ils ? Quelles sont leurs craintes ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Comment s’est déroulée leur transition ?
« Nous allons également créer des supports pour aborder avec les patients les questions autour de la sexualité, de la contraception et de la grossesse », ajoute le Dr Antonini. « Je mets un point d’honneur à évoquer ces questions en consultation car certains médicaments sont tératogènes (peuvent provoquer des malformations chez les bébés). Nous devons également informer les patientes sur les risques de transmission de leur maladie à leur enfant ».
Anticiper les prises de risque
Alcool, sexualité, tabac, grossesse… Ces sujets qui concernent tous les adolescents et jeunes adultes sont naturellement abordés en consultation. « Il faut accompagner les jeunes et les aider à comprendre les risques encourus », ajoute le Dr Antonini. « Ils vivent de grands décalages avec les jeunes de leur âge, ne peuvent pas boire d’alcool avec leurs copains. Il y a beaucoup d’interdictions. C’est dur pour eux. C’est compliqué à intégrer ». Si Valérie adopte un discours strict avec son fils, elle l’invite surtout à bien s’entourer : « Ça sera plus facile pour toi, si tes copains ne boivent pas d’alcool », suggère-t-elle. Idem pour la maman d’Alek qui dit faire confiance à son fils, mais craint des tentations de son environnement proche.
Pour le Dr Antonini, une des clefs réside dans l’éducation thérapeutique et l’accompagnement des jeunes. « Nous devons créer des liens proches pour les aider et favoriser une transition sereine et durable ».
Par Juliette Caillot-Vaslot