Prédire le rejet de greffe
Prédire le risque de rejet et de perte des organes greffés : “un pas de plus vers une approche personnalisée de la prise en charge des patients”
Par le Pr Alexandre LOUPY
En France, plus d’une personne sur mille (70 000) est en vie grâce à un organe greffé (rein, foie, cœur, poumon, pancréas…). La récupération des patient(e)s transplanté(e)s est souvent très bonne mais la survenue d’un rejet aigu ou chronique – l’un ou l’autre menaçant la survie de l’organe et de la personne – reste au centre des problématiques des greffes. Les traitements préventifs ou curatifs des rejets sont lourds. Ils majorent les risques d’infections et de cancers et aggravent le risque cardiovasculaire. Le traitement antirejet (immunosuppresseur) à la carte pourrait se trouver à portée de main en prédisant mieux le risque de rejet.
Mieux définir le risque de rejet de greffe mobilise depuis 10 ans les équipes françaises entraînées par les Professeurs Alexandre LOUPY (Hôpital Necker-Enfants malades) et Carmen LEFAUCHEUR (Hôpital Saint-Louis), AP-HP, Universités Paris Descartes et Paris Diderot, Inserm. Ils ont constitué une équipe scientifique internationale: le Paris Transplant Group. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue PLOS MEDICINE.
Les Anticorps dirigés contre le donneur : un rôle majeur dans les rejets
Un déterminant très important du risque de rejet est la présence d’anticorps dirigés contre le greffon, et plus précisément d’anticorps visant des déterminants du système HLA (système de reconnaissance du soi décrit par Jean DAUSSET en 1958 – Prix Nobel de Médecine en 1980). C’est pour cela que l’on parle de rejet humoral, ou médié par les anticorps. Le rejet humoral est difficile à prévenir, et à traiter. Les anticorps peuvent être présents chez les receveurs avant la greffe, ou apparaître après celle-ci. Dans les deux cas la présence de ces anticorps majore les risques de rejet et de perte de l’organe.
Améliorer encore la prédiction du rejet : les multiples particularités des anticorps anti-donneur
Les anticorps, nommés anticorps spécifiques du donneur ou DSA (Donor Specific Antibodies) sont très inégalement “toxiques” ou “pathogènes” pour l’organe greffé et le patient. Les spécificités anti-HLA (selon la classe, par exemple) et le taux ou le titre de ces anticorps sont des déterminants très importants. A. Loupy et C. Lefaucheur ont montré en 2013, puis en 2018 que la capacité qu’avaient ou non ces anticorps à activer le complément* et à se fixer sur certaines de ses fractions (C1q, C3) était sans doute très importante indépendamment du titre de ces anticorps. De plus la nature même de ces anticorps – de quelle classe d’immunoglobuline G sont ils faits ? – compte aussi. Ces faits, cette valeur prédictive, se vérifient pour plusieurs types d’organes greffés. Pour les auteurs, “nous disposons donc – ou allons disposer – d’un panel de tests biologiques (des “biomarqueurs”) hautement prédictif du risque de rejet de greffe.”
Que vont permettre ces découvertes ?
Elles permettent un suivi (ou immuno-monitorin) non invasif du risque de rejet. Elles n’ont pas remplacé les biopsies mais aident à guider leur réalisation. Au moment de la greffe, sont définis des profils de patients à haut, très haut ou faible risque de rejet. Ainsi la nature des traitements préventifs peut être mieux définis. Si un anticorps de type DSA apparaît lors du “suivi” d’une greffe, sa caractérisation complète permettra de préciser beaucoup mieux les risque qu’encourent les patients.
Depuis une quinzaine d’année, les rejets cellulaires sont rares et bien pris en charge. Les rejets humoraux (liés aux anticorps) sont devenus fréquents et complexes à maitriser. A côté des traitement classiques, apparaissent des médicaments nouveaux bloquant le système du complément. Ils sont en train d’être tester. Leur recours est physiopathologiquement justifié et certains essais pilotes sont prometteurs.
“Les travaux abordés ici nous propulsent vers une médecine de précision ou chaque profil de risque pourra aller vers un traitement de greffe donné; un pas de plus vers une approche personnalisée de la prise en charge des patients.”
Publication dans PLOS MEDECINE
* ensemble de protéines impliquées dans les mécanismes d’élimination des pathogènes et d’autorégulation de ce système afin d’éviter une réaction auto-immune
Ceci est un article à retrouver sur le site de l’Hôpital Necker